Le Musée d'art et d'histoire du judaisme est un de mes musées préférés, la programmation est toujours intéressante et les expositions souvent très intelligentes.
Face à la diversité des supports et des artistes présentés, on peut se demander ce qui constitue l'art juif et comment le définir. Tout art crée par un artiste juif relève t-il nécessairement de l'art ou de la culture juive? Quelle est la part de l'influence juive dans l'oeuvre d'un artiste qui est par ailleurs influencé par une époque, un lieu, etc? Il est d'autant plus légitime de s'interroger sur la réalité d'une culture spécifiquement juive que la diaspora juive est particulièrement ancienne et éclatée. Le MAHJ ne nie pas ces interrogations, elles sont d'ailleurs centrales dans l'exposition Radical Jewish Culture actuellement présentée.
La Radical Jewish Culture est une mouvance musicale qui s'est développée à New York dans les années 1980-1990, faisant suite à la redécouverte du répertoire des musiques juives populaires, notamment du Klezmer d'Europe Orientale, par des musiciens juifs new yorkais proches des scènes rock, punk et jazz dans les années 1970-1980.
Le saxophoniste et compositeur John Zorn est une des figures majeures de ce mouvement, il a notamment imaginé le programme du "Festival for New Radical Jewish Music" qui s'est tenu à Munich en 1992. Il y avait alors présenté la pièce "Kristallnacht" qui mêlait le free jazz, le klezmer, des bribes de discours d'Hitler, ainsi que des bruits de vitres brisées, une pièce volontairement difficile à écouter.
Les influences de la Radical Jewish Music sont à la fois juives, en particulier yiddish, et américaines (influence de la Beat generation et du rock alternatif notamment). Les interrogations sur ce qu'est la musique juive contemporaine et sur ce que dit la musique que l'on joue de nos origines et de notre expérience de vie, sont récurrentes dans le mouvement.
Marc Ribot, musicien américain, déclarait en 1996 que la volonté de subversion du festival de Munich s'inscrivait dans l'histoire de la subversion punk/rock qui remet en cause le discours dominant. Cette posture punk/juif ne pouvait naître, selon lui, que dans une communauté dont l'existence est niée. Donc, la New Radical Jewish Music, au delà même de l'influence des vieux répertoires populaires juifs, est éminemment juive de par la subversion et la contestation qu'elle véhicule. Donc tous les juifs sont un peu punks, j'aime bien l'idée.
Je termine avec une citation du philosophe juif Gershom Scholem, présentée dans l'exposition:
"Il existe aussi une vie de la tradition qui ne consiste pas spécialement dans la préservation conservatrice, dans la propagation permanente des acquis spirituels et culturels d'une communauté. La tradition est également autre chose. Certains de ses domaines sont dissimulés dans les décombres des siècles et attendent d'être découverts et réactualisés. La tradition s'apparente à une sorte de chasse au trésor et cette quête crée une relation vivante à laquelle on doit une large part de ce qu'il y a de meilleur dans la conscience juive actuelle, même lorsqu'elle s'est développée et continue de le faire hors du cadre de l'orthodoxie" (1969).
Et bien sûr, j'ai oublié de le souligner, la Jewish Radical Music est assez géniale. Une série de concerts est programmée à l'auditorium du MAHJ, dont celui de David Krakauer et Anthony Coleman le 18 avril et celui de John Zorn, Trevor Dunn et Joey Baron le 16 mai.
Exposition du 9 avril au 18 juillet 2010 au MAHJ, 71 rue du Temple, 75003 Paris.