mardi 30 mars 2010

Victimes ou coupables?


Le magazine Marie-Claire a eu la bonne idée d'organiser une rencontre entre la sociologue Isabelle Gilette-Faye qui dirige le GAMS (groupe femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles) et Marie-Rose Moro , directrice de la Maison des adolescents à Paris, que j'ai déjà évoquée. L'objet de leur échange était la pratique de l'excision au sein des populations immigrées, à l'encontre de filles nées en France et la question plus précise était celle de la responsabilité des mères qui en assurent souvent le bon déroulement.
Si Marie-Rose Moro insiste sur l'importance de préserver la responsabilité des mères vis-à-vis de leurs actes et choix, Isabelle Gilette-Faye considère que les femmes n'ont pas de réel choix face à ces pratiques. Une jeune fille qui refuse un mariage arrangé ou qui n'est pas excisée (et donc a priori non mariable) déshonore sa famille, responsabilité imputée à la mère qui a raté son éducation.
L'intérêt de l'article ne résidait pas tant dans ce débat sur la responsabilité ou non des mères que dans le questionnement sur le sens de ces pratiques dans le cadre migratoire. La crainte de perdre son identité et sa culture d'origine au cours de l'expérience migratoire peut participer à la reproduction de pratiques ou de croyances. Si par ailleurs, le migrant ne se sent pas accueilli, il aura tendance à se raccrocher et à valoriser des pratiques qui représentent le monde qu'il a quitté. Isabelle Gilette-Faye soulignait le risque d'enfermer les migrants dans une histoire, dans un souvenir biaisé de leur propre culture; elle expliquait notamment qu'il existait en Afrique une dynamique nouvelle sur ces questions de mutilations génitales qui devait être transposée dans les pays d'immigration car sinon nous allions nous retrouver dans une situation où les diasporas feraient perdurer des pratiques abandonnées dans les pays d'origine à cause de ce sursaut identitaire.
Ce sujet m'a particulièrement interpellée parce que j'ai eu l'occasion de travailler avec des familles maliennes et ivoiriennes qui souhaitaient demander l'asile pour protéger leurs filles de la pratique de l'excision. L'ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) a en effet eu une politique de protection des fillettes par le biais de l'asile ces dernières années. Le raisonnement était le suivant: si la famille est renvoyée dans son pays d'origine, il lui sera très difficile de s'opposer à l'excision des filles parce que la pression sociale est très importante. Le choix des parents n'est pas tellement pris en compte, le reste de la famille se chargera de l'excision des filles si ce n'est pas fait. Par ailleurs, s'opposer à l'excision de son enfant revient à le condamner socialement, la jeune fille ne pourra pas être mariée, ce qui implique également qu'elle restera légalement mineure, ce qui n'est pas une situation souhaitable pour une mère. Il est important de comprendre l'ensemble de ces enjeux sociaux quand on considère le sujet des mutilations génitales, notamment quand on a un regard extérieur, ce qui était mon cas, car l'on comprend mieux pourquoi des femmes (qui dans la majorité souffrent de leur excision et en connaissent très bien les risques) continuent de la pratiquer.
Le sujet est vaste et polémique. Bien sûr l'excision n'est pas pratiquée uniquement dans les pays d'origine et des petites filles se font exciser en France, dans ce cas, l'asile protège t-il vraiment des mutilations? La pression sociale a bien sûr été transposée dans les pays d'accueil où des communautés se sont reconstituées. J'avais essayé d'aborder le sujet avec des mères maliennes qui se présentaient avec des bébés de quelques mois à peine, bébés qui a priori grandiraient en France. Je discutais de la probabilité que leur fille, future française, n'épouse pas nécessairement un malien ou qu'elle épouse un jeune homme qui lui même aurait grandi en France, et que donc le fait qu'elle ne soit pas excisée certainement ne poserait pas de problème, surtout si la pratique est progressivement abandonnée au sein de la diaspora. Et bien laissez moi vous dire que ce n'était pas gagné, qu'entre refuser d'exciser sa fille et accepter qu'elle n'épouse pas quelqu'un de sa communauté, il y avait quand même un pas. Marie-Rose Moro évoquait également ce point lors de la discussion et soulignait qu'il fallait que les migrants se sentent mieux accueillis pour accepter de se métisser et pour qu'ils adoptent de nouvelles pratiques. Mon propos n'est évidemment pas d'imputer la responsabilité de l'excision aux sociétés d'accueil, mais de souligner que la question se trouve au croisement de nombreux paramètres.

lundi 29 mars 2010

C'est lundi, c'est Rivoli!


En 2006, j'ai eu l'occasion de visiter le Musée d'Israël à Jérusalem et notamment le très beau département d'art contemporain. A l'époque - je ne sais pas si c'est toujours le cas - le musée exposait le travail d'une artiste qui avait répertorié l'ensemble des rues, avenues, lieux, monuments allemands dont le nom était lié au judaïsme. Par exemple toutes les Judenstrasse, et il y en avait un paquet...Malheureusement je n'ai pas retenu le nom de l'artiste, en revanche je me souviens bien de la carte de l'Allemagne constellée de traces de la présence séculaire des Juifs dans le pays.
En m'inspirant de ce travail, j'ai eu envie de répertorier également l'ensemble des rues parisiennes qui portent le nom d'une ville, d'un pays ou d'une population étrangère. Une rue chaque lundi donc et pour commencer la rue de Rivoli. (Rivoli est une ville de la province de Turin). J'ai de quoi tenir une bonne centaine de semaines, ça laisse le temps de voir venir..
Je ne sais pas encore quel sera l'objet de cette démonstration ni même s'il y en aura un, la plupart des appellations renvoient à des batailles, à la colonisation ou tout simplement à des relations diplomatiques, de toute évidence il ne s'agit pas de la même démarche que pour cette artiste israélienne.

jeudi 25 mars 2010

Cadet, Paris 9ème









C'est bientôt Pessa'h, la parfaite occasion pour aller faire un tour à Cadet voir si vous y êtes...

Pessa'h célèbre la sortie du peuple hébreu d'Egypte et l'avénement du peuple juif après le don de la Torah. La fête dure 7 jours en Israël, 8 jours en dehors d'Israël et s'accompagne d'un certain nombre de traditions comme l'interdiction de manger de la nourriture contenant de la levure. La veille de Pessa'h, les juifs se débarrassent de tous les Hametz qu'ils ont chez eux (c'est-à-dire tous les aliments qui contiennent de la levure, le pain, les pâtes...), parfois des miettes de pain sont cachées dans la maison pour que les enfants les cherchent, un peu comme d'autres cherchent les oeufs à la même période. A ce sujet, je recommande vivement la lecture de My first sony, de Benny Barbash pour la description hilarante qu'il fait de cette recherche des miettes.
Le premier repas de la semaine en Israël (les deux premiers dans le reste du monde) s'appelle le Seder et il est encadré par plusieurs commandements, notamment la présence des aliments que l'on peut voir sur la troisième photo est requise. Finalement c'est assez proche de la célébration de Norouz où la tradition impose également des aliments précis chargés d'un sens symbolique. D'ailleurs Pessa'h est aussi appelé Hag HaAviv: la fête du printemps.

Les enfants ont un rôle particulier pendant le Seder, le plus jeune de la table doit poser quatre questions rituelles sur l'histoire de l'exode. Pessa'h est une fête au cours de laquelle la transmission de l'histoire du peuple hébreu/juif est particulièrement importante, c'est peut-être pour cette raison que les vitrines de Cadet étaient si fournies en jeux permettant l'apprentissage de ces traditions. On peut y voir notamment le petit kit du Seder en mousse et le jeu de société Kosherland qui a certainement ma préférence!

 

lundi 22 mars 2010

Les Olympiades, Paris 13ème









80% de la diaspora chinoise (de France) réside en Ile de France. Le 13ème arrondissement de Paris est certainement le "quartier chinois" le plus connu, pourtant les Chinois y sont en réalité minoritaires. Parmi les habitants du triangle de Choisy, beaucoup sont des réfugiés d'Asie du Sud-Est des années 1970 (certains réfugiés vietnamiens ou cambodgiens avaient cependant des origines chinoises) ou des Chinois de Polynésie et de Guyane française.
Les nombreuses tours du 13ème avaient été construites dans le cadre d'un plan immobilier à destination des cadres parisiens, mais celui-ci n'avait pas rencontré le succès espéré. C'est donc en partie du fait de la présence de ces nombreux logements inoccupés que les populations asiatiques ont investi le quartier.
Etrangement, l'architecture asiatisante du centre commercial des Olympiades n'a rien à voir avec l'origine des habitants puisqu'il a été construit avant leur arrivée.

samedi 20 mars 2010

Joyeux Norouz!




Hier, j'ai fêté Norouz, le nouvel an iranien, à la Maison d'Europe et d'Orient. Norouz est une fête millénaire dans la tradition iranienne, qui puise ses racines dans les rituels du zoroastrisme, que l'on retrouve également dans les pays d'Asie centrale influencés par l'Empire perse.
Norouz célèbre le premier jour du printemps et le renouveau de la nature. A l'occasion, les maisons sont nettoyées, de nouveaux vêtements sont achetés, les enfants reçoivent des billets, on rend visite aux proches et aux voisins en commençant par les plus âgés. Comme dans la plupart des fêtes, la nourriture y tient un place particulièrement importante. Le Sumalak se prépare des jours à l'avance dans une grande marmite autour de laquelle les gens se relaient pour remuer.
Des exilés iraniens, ouzbeks, kirghizes et tadjiks nous ont également expliqué la dimension politique de Norouz. Sa célébration était interdite dans l'Empire Soviétique, elle est toujours controversée dans l'Iran des Mollahs, malgré l'attachement profond des Iraniens à cette fête antéislamique. A ce sujet, l'article d'Armin Arefi est très intéressant.

jeudi 18 mars 2010

dimanche 14 mars 2010

jeudi 11 mars 2010

Exil

Hier, Libération dressait le portrait de la pédopsychiatre Marie-Rose Moro qui consacre son travail aux souffrances nées de l'exil. Elle accompagne les enfants nés ailleurs dans leur parcours d'adaptation, enfants de migrants et enfants de l'adoption internationale.
La valorisation de la langue maternelle (pendant les consultations les enfants et les parents parlent dans leur langue maternelle) fait partie de ses méthodes de travail. Pour aider les enfants à se construire et à vivre heureux en France, elle se rattache donc à leurs racines et à leur culture d'origine, ce qui me semble être une approche très intéressante en ces temps de peur du communautarisme.
Et comme la vie fait parfois bien les choses, le portrait de Libération sort exactement au moment où je voulais parler d'Edward W. Said.

Edward W. Said, intellectuel palestinien de citoyenneté américaine, a lui aussi beaucoup travaillé sur l'exil et ses douleurs. Il parle de l'exil comme d'une "fissure à jamais creusée entre l'être humain et sa terre natale", une expérience d'une douleur insurmontable, source de rancoeur et de regrets, mais aussi d'un certain regard sur le monde.

Parce qu'ils sont déracinés, qu'ils ont l'expérience de plusieurs langues et de plusieurs cultures, les exilés sont dans une situation de décalage et de solitude qui les rendrait plus à même de créer, de penser le monde, etc. Edward W. Said considère qu'une partie importante de la culture occidentale moderne est l'oeuvre d'exilés, d'émigrés, de réfugiés. Mais il ajoute également, qu'à trop vouloir valoriser cette richesse de l'exil pour l'humanité, il y a un risque de banalisation des douleurs du déracinement.

Ce que je retiens de Marie-Rose Moro et d'Edward W. Said, c'est qu'il ne faut pas oublier l'émigré dans l'immigré, celui qui est parti avant d'arriver.
Edward W. Said illustre ses propos en citant un autre exilé palestinien, le poète Mahmoud Darwich, auteur des lignes qui suivent.

Mais je suis l’exilé
Prends-moi sous tes yeux
Où que tu sois, prends-moi
Rends-moi la couleur du visage et du corps
La lumière du cœur et des yeux
Le sel du pain et de la mélodie
Rends-moi le goût de la terre et de la patrie !
Prends-moi sous tes yeux
Prends-moi comme une peinture sous la chaumière des soupirs
Prends-moi comme un verset dans le livre de ma tragédie
Prends-moi comme un jouet, une pierre de la maison
Afin que la génération future
Sache reconnaître
Le chemin de la maison !

- Rien qu’une autre année -



Edward W. Said


Mahmoud Darwich

Edward W. Said, Réflexions sur l'exil et autres essais, Actes Sud, 2008 (pour la traduction française).

Mahmoud Darwich, Rien qu'une autre année, Anthologie poétique (1966-1982), Les Editions de minuit, 1983.

vendredi 5 mars 2010

Sept mers et treize rivières

C’est l’histoire de Nazneen et de son mari Chanu. C’est l’histoire de leurs deux filles, Bibi et Shahana. C’est l’histoire de la diaspora bangladaise à Londres. C’est l’histoire d’une femme qui s’émancipe dans l’immigration, d’un homme qui rêve d’un Bangladesh idéalisé, de deux petites filles anglaises qui ne s’intéressent pas tant que ça au pays de leurs parents. C’est l’histoire des habitants de Brick Lane et de ceux restés au Bangladesh. C’est l' histoire très drôle et très tendre que nous raconte Monica Ali et qu’elle dédie à Abba, son papa.
Titre original: Brick Lane

Brick Lane, Londres