Le magazine Marie-Claire a eu la bonne idée d'organiser une rencontre entre la sociologue Isabelle Gilette-Faye qui dirige le GAMS (groupe femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles) et Marie-Rose Moro , directrice de la Maison des adolescents à Paris, que j'ai déjà évoquée. L'objet de leur échange était la pratique de l'excision au sein des populations immigrées, à l'encontre de filles nées en France et la question plus précise était celle de la responsabilité des mères qui en assurent souvent le bon déroulement.
Si Marie-Rose Moro insiste sur l'importance de préserver la responsabilité des mères vis-à-vis de leurs actes et choix, Isabelle Gilette-Faye considère que les femmes n'ont pas de réel choix face à ces pratiques. Une jeune fille qui refuse un mariage arrangé ou qui n'est pas excisée (et donc a priori non mariable) déshonore sa famille, responsabilité imputée à la mère qui a raté son éducation.
L'intérêt de l'article ne résidait pas tant dans ce débat sur la responsabilité ou non des mères que dans le questionnement sur le sens de ces pratiques dans le cadre migratoire. La crainte de perdre son identité et sa culture d'origine au cours de l'expérience migratoire peut participer à la reproduction de pratiques ou de croyances. Si par ailleurs, le migrant ne se sent pas accueilli, il aura tendance à se raccrocher et à valoriser des pratiques qui représentent le monde qu'il a quitté. Isabelle Gilette-Faye soulignait le risque d'enfermer les migrants dans une histoire, dans un souvenir biaisé de leur propre culture; elle expliquait notamment qu'il existait en Afrique une dynamique nouvelle sur ces questions de mutilations génitales qui devait être transposée dans les pays d'immigration car sinon nous allions nous retrouver dans une situation où les diasporas feraient perdurer des pratiques abandonnées dans les pays d'origine à cause de ce sursaut identitaire.
Ce sujet m'a particulièrement interpellée parce que j'ai eu l'occasion de travailler avec des familles maliennes et ivoiriennes qui souhaitaient demander l'asile pour protéger leurs filles de la pratique de l'excision. L'ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) a en effet eu une politique de protection des fillettes par le biais de l'asile ces dernières années. Le raisonnement était le suivant: si la famille est renvoyée dans son pays d'origine, il lui sera très difficile de s'opposer à l'excision des filles parce que la pression sociale est très importante. Le choix des parents n'est pas tellement pris en compte, le reste de la famille se chargera de l'excision des filles si ce n'est pas fait. Par ailleurs, s'opposer à l'excision de son enfant revient à le condamner socialement, la jeune fille ne pourra pas être mariée, ce qui implique également qu'elle restera légalement mineure, ce qui n'est pas une situation souhaitable pour une mère. Il est important de comprendre l'ensemble de ces enjeux sociaux quand on considère le sujet des mutilations génitales, notamment quand on a un regard extérieur, ce qui était mon cas, car l'on comprend mieux pourquoi des femmes (qui dans la majorité souffrent de leur excision et en connaissent très bien les risques) continuent de la pratiquer.
Le sujet est vaste et polémique. Bien sûr l'excision n'est pas pratiquée uniquement dans les pays d'origine et des petites filles se font exciser en France, dans ce cas, l'asile protège t-il vraiment des mutilations? La pression sociale a bien sûr été transposée dans les pays d'accueil où des communautés se sont reconstituées. J'avais essayé d'aborder le sujet avec des mères maliennes qui se présentaient avec des bébés de quelques mois à peine, bébés qui a priori grandiraient en France. Je discutais de la probabilité que leur fille, future française, n'épouse pas nécessairement un malien ou qu'elle épouse un jeune homme qui lui même aurait grandi en France, et que donc le fait qu'elle ne soit pas excisée certainement ne poserait pas de problème, surtout si la pratique est progressivement abandonnée au sein de la diaspora. Et bien laissez moi vous dire que ce n'était pas gagné, qu'entre refuser d'exciser sa fille et accepter qu'elle n'épouse pas quelqu'un de sa communauté, il y avait quand même un pas. Marie-Rose Moro évoquait également ce point lors de la discussion et soulignait qu'il fallait que les migrants se sentent mieux accueillis pour accepter de se métisser et pour qu'ils adoptent de nouvelles pratiques. Mon propos n'est évidemment pas d'imputer la responsabilité de l'excision aux sociétés d'accueil, mais de souligner que la question se trouve au croisement de nombreux paramètres.